Le territoire du département de la Somme à la Fin IVe-Début IIIesiècle av. n.e.
Les fouilles archéologiques ont permis d'étudier moins d'une centaine de sites datés de La Tène B2-C1 (300/200 av. n. e). Ce nombre relativement faible ne rend bien évidemment pas compte de la réalité de l'occupation des campagnes au cours de cette période. En l'état actuel de la recherche, il est pratiquement impossible de dater précisément les centaines de « fermes » découvertes par R. Agache, ni celles qui ont fait l'objet de prospections. Parmi les sites fouillés, nous trouvons des vestiges appartenant à des établissements ruraux qui, à de rares exceptions près, investissent des zones non occupées précédemment. A partir de La Tène C1, ils sont désormais protégés par des fossés traduisant une nouvelle forme d'architecture à vocation plus ou moins ostentatoire. Des espaces funéraires, parfois reliés aux habitats, se caractérisent par la généralisation de la pratique de l'incinération (du moins pour les adultes) apparue timidement à La Tène B1. Le sanctuaire primitif de Ribemont-sur-Ancre, témoignage de nouvelles pratiques rituelles, est le seul qui puisse être daté de La Tène C1, aux environs de 280 av. n. e.
La culture matérielle semble aussi refléter ces évolutions, sans que l'on puisse véritablement parler de rupture. Ainsi, si le répertoire céramique voit, à la charnière LTB2/LT C1, le développement des séries à profil arrondi et des décors au lissoir, il s'inscrit malgré tout dans la tradition Aisne-Marne III antérieure (M. Friboulet et alii, 2003 ; N. Buchez, 2011, p. 320-323).
Ces nouvelles évolutions ont été portées au crédit, non pas des populations locales, mais de nouveaux arrivants (St. Fichtl, 1994 ; J.-L. Brunaux, 1996 ; 2000). En l'absence de sources contemporaines, il faut aller chercher chez César la trace de ces nouveaux arrivants. C'est en effet dans le Bellum Gallicumqu'il décrit les différents grands groupes ethniques peuplant la Gaule Chevelue. Parmi eux, au nord de la Seine et de la Marne, figurent les Belgesqui se distinguent par leur langue, leurs lois et leurs coutumes. Les Remi lui apprennent qu'ilsont une lointaine origine germanique et qu'ils ont chassé les Gaulois qui habitaient le territoire auparavant (B.G., I, 1, 2-3 ; B.G., II, 4). Les historiens en ont déduit que ces Belges, sous la pression d'autres groupes germaniques, auraient quitté leurs terres (partie nord de l'Allemagne ?), franchi le Rhin et emprunté la moyenne vallée de la Seine, avant d'occuper le quart nord-ouest de la Gaule. Si l'on retient l'hypothèse développée par J.-L. Brunaux, le « charnier » de Ribemont-sur-Ancre montre que cette « colonisation » ne s'est pas produite sans heurts. A l'issue d'un combat victorieux contre les populations locales, les Belges auraient édifié un gigantesque « trophée » marquant leur volonté de s’approprier ce territoire et d’en faire reconnaître les limites aux populations voisines. D'aprèsla leçon ß des manuscrits du Bellum Gallicum, une partie d'entre eux aurait constitué, dès cette époque, une entité particulière, le Belgiumcité par César (B.G. V, 12, 2, 24, 2-4, 25, 4) puis Hirtius (B.G.VIII, 46, 4, 6, 49, 1, 54,4). Il couvrait probablement la partie occidentale de la Gaule Belgique, soit au moins le territoire des futures Civitatesdes Bellovaci, des Ambianiet des Atrébati(St. Fichtl, 1994, p. 140-142 ; 2012, p. 137-138).
Au risque d'anachronisme, rien ne permettant de leur attribuer une origine gauloise, il faut peut-être y intégrer deux peuples figurant dans la liste de Pline, les Britanni(au nord des Ambianiet les Oromansaciqui touchent au Pagus Gessoriacus(Naturalis Historia,, IV, 106). R. Fossier (1968, I, p. 126) propose d'établir les Britannidans le Ponthieu. Pour L.-P. Delestrée (1996, p. 110), ils représenteraient ensemble un peuple maritime localisé dans le Ponthieu-Vimeu. Sous réserve de confirmation, il semble bien que cette frange littorale se distingue du reste de la région. C'est notamment là que se trouvent les nécropoles les plus importantes, une relative concentration des tombes à armes et la plupart des dépôts en ossuaires.
Nous ignorons tout de l’éventuelle organisation territoriale au cours de La Tène Moyenne. Il a été conjoncturé une intégration progressive d’ensembles familiaux se réclamant d'un ancêtre communet gardant des liens très puissants, dans des cellules de base ou de « tribus » (J.-L. Brunaux, 1996, p. 18 ; 2004, p. 17-18). Le territoire occupé par celles-ci aurait peu à peu constitué les pagi, terme latin qui serait la transcription latine du mot gaulois corios, « réunion d’hommes ou de guerriers » (Chr. Peyre, dans L.-P. Delestrée, 1996, p. 6-8). L’hypothèse a été émise d’un paguscentraloccupant, autour de la future capitale Samarobriva,un cercle d’environ 25 km de rayon soit, grosso modo, l’Amiénois actuel (R. Fossier 1968, I, p. 125). Deux villages dérivant de Mediolanum, Molliens-au-Bois et surtout Molliens-Dreuil, situés tous deux à 15 km de la Somme, pourraient constituer des lieux d'échanges excentriques. Le territoire du second possède un sanctuaire situé sur une position topographique bien en vue, à proximité de la frontière naturelle entre l’Amiénois et le Ponthieu. Mais, il n'a livré aucun élément de datation antérieur à la Tène finale. La question reste donc ouverte et ne sera probablement résolue que par une étude fine qui pourrait mettre en évidence différents faciès culturels (céramique notamment), à supposer que ceux-ci traduisent bien des communautés particulières.
Selon unrythme qui nous échappe, les liens plus ou moins lâches qui auraient maintenu ces différentes entités -supposées ou réelles- se seraient progressivement resserrés pour aboutir à ce que César appelle la Civitas(J. Foviaux, 1986, p. 43). Si le nom qu’ils se sont donnés a pu être utilisé bien avant, ce n’est qu’à partir du milieu du Iersiècle avant n.è, qu'ils sont cités par les sources littéraires. Deux de ces peuples notamment nous concernent : les Viromandui et les Ambiani. Les premiers sont localisés à l’est du département, dans une bonne partie du Santerre et du Vermandois, sur le haut cours de la Somme. Les seconds, à partir de leur supposé noyau central se seraient étendus à l’est et à l’ouest pour occuper finalement une bonne partie du département actuel et la partie méridionale du Pas-de-Calais jusqu’à la Canche. Comme l’a montré J.-L. Massy (1983, p. 16-17) qui a confronté les hypothèses d'H. d'Arbois de Jubainville (1891, p. 36-37), G. Dottin (1920, II, p. 91, 213) et Ch.-J. Guyonvarc’h (p. 386-388), le sens de leur ethnonyme ne s’y oppose pas, la préposition ambi- étant dérivée d'un prototype indo-européen qui signifierait en gaulois "autour, de chaque côté, de part et d'autre". Le nom des Ambianis'expliquerait ainsi par leur position de part et d'autre des rives de la Somme.
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